La contribution du bois mort à la conservation de la biodiversité en forêt dense humide: cas de l'arboretum RAPONDA Walker (Gabon)


L'arboretum RAPONDA Walker est situé dans la Forêt Classée de la Mondah, au nord de Libreville (Gabon). Sa capacité en bois mort et la biodiversité afférente à ce dernier sont peu connus, et donc sous estimés. L'objectif de cette étude consiste à inventorier ce bois mort, et la biodiversité y affiliée afin d'évaluer les services écologiques de cette ligno nécro-masse en termes de conservations des espèces biologiques. Ces informations pourront aider le gestionnaire de cet arboretum dans le cadre d'aménagement de ce site. Elles pourront aussi inspirer des chercheurs intéressés par la protection et la conservation des bois tropicaux. Les inventaires de bois mort s'appuient sur 60 relevés de 20m×20m dispersés au hasard. Pour la biodiversité, des échantillons étaient prélevés de chaque espèce biologique affiliée au bois mort inventorié.

Au total, 38,69m3  de bois mort ont été inventoriés. Ce qui correspond à une évaluation de 16,12 m3 /ha. Cette valeur est supérieure  aux valeurs trouvées dans les forêts gérées de régions de climat tempéré. Le bois mort de l'arboretum RAPONDA Walker est varié en termes de types de pièces et de stades de décomposition. Il abrite des espèces biologiques diversifiées. Cette biodiversité intervient à tous les stades de la décomposition du bois. La bryoflore et certaines fourmis sont déjà présentes dès les premières phases de la décomposition. Les espèces fongiques, les coléoptères et les espèces lignivores interviennent dans les phases intermédiaires. Les espèces qui forent des trous sur le bois mort le préfèrent sec. Tel est aussi le cas des espèces cavicoles comme la chauve-souris. Les gaules poussent mieux sur du bois mort couché au sol, et dans un état de décomposition relativement avancée.  L'arboretum RAPONDA Walker, le site de cette étude est une forêt de vielle croissance qui regorge de nécro-masse ligneuse. Ce bois mort abrite une mosaïque d'espèces vivantes diverses dont la présence atteste du bon fonctionnement d'un écosystème forestier.      

Intérêt et justification
L'arboretum   RAPONDA Walker est situé à l'intérieur de la Forêt Classée de la  Mondah, dans la zone du cap, au Nord de Libreville. Vers 1930, la Société Tropicale Forestière de l'Océan (STFO) avait pratiqué dans cette forêt une arboriculture  d'okoumé (Aucoumea klaineana  P.). Le cycle sylvigénétique est défini par le phénomène de dynamique interne naturelle des peuplements forestiers, entraînant la mort des arbres, leur chute, les chablis, les trouées, les rajeunissements en mosaïque, les successions et l'alternance des espèces (Géhu, 2006 ; Gautrot, 2011). Aujourd'hui, la prise de conscience du rôle des forêts, et l'adhésion du Gabon à diverses conventions tels que la Réduction de la Déforestation et de la Dégradation des Forêts (REDD), et le Mécanisme de Développement Propre (MDP) a accru l'attention à l'égard des forêts et a amené à s'interroger sur le devenir de ces forêts en fonction de leur potentiel - zone de production ou de conservation. Les études menées en forêts denses humides  pour orienter les stratégies de gestion durable de ces forêts  exigent de disposer des données précises et spatialisées (Ondo, 2011). Les informations contenues dans ce travail portent uniquement sur l'arboretum RAPONDA Walker. Elles sont susceptibles d'orienter le gestionnaire de ce site sur le type de gestion à envisager pour maintenir la biodiversité et les services éco systémiques et dérivés de cette station forestière. Ces informations peuvent également renseigner sur la quantité de bois mort dans l'arboretum RAPONDA Walker -  voire permettre de deviner par comparaison la capacité en bois mort des forêts denses humides ayant un mode de gestion différent. Ces résultats peuvent aussi compléter les connaissances concernant les arbres morts et les arbres à cavités. Sur le plan pratique, les résultats de ces travaux peuvent renseigner sur les agents de dégradation des bois tropicaux.

Méthode
Mesure d'une souche
Inventaire du bois mort: Les inventaires de ressources sont indispensables pour toute activité de recherche  sur les stocks. Les données y afférentes sont nécessaires pour la réalisation du plan de gestion du site. Chaque forêt contient du bois  mort. Ce sont notamment les branches mortes ou les souches, mais aussi et surtout les très gros arbres   morts. Les inventaires du bois mort ont été réalisés à l'aide des  19 relevés de 20 m × 20 m disséminés    de façon aléatoire dans le site. Les conventions de matérialisation des relevés et de localisation des bois sont celles décrites par Dallmeier et al. (1992) et  Kuebler  (2006), puis Ngueguim (2013). Ont été pris en compte, toutes les tiges debout et souches de diamètre d >=  7,5 cm. Les mesures de diamètre ont été effectuées à la hauteur de poitrine d'homme (dhp). Pour le bois mort au sol, seules les pièces de longueur l >= 75cm et de diamètre d>=2,5cm ont été mesurées suivant les recommandations de Harman et al. (1986) et Gautrot (2011).

Estimation de la nécro-masse ligneuse : Lorsqu'on pratique le cubage d'un arbre, il convient toujours de préciser le volume dont on parle (Massenet, 2006). Compte tenu de la variabilité du bois mort en forêt dense humide,  l'estimation du volume du bois mort empruntera diverses formules  de  cubage suivant les types de pièces à mesurer. Ainsi : 
o Pour le cas des chandelles, souches et les troncs couchés au sol la formule utilisée est celle de Huber. L'utilisation de cette formule empirique se base sur l'hypothèse que la tige peut être assimilée à un cylindre dont la base et la hauteur correspondent respectivement à la section médiane et à la longueur de ce tronc.
                     
                          V=?/4  .dm2.L      ou 
                         V=Cm 2.L /4?

                       Avec : dm = diamètre médian de la grume
                                   Cm = circonférence médiane de la grume
                                   L = longueur de la grume

o Le volume des arbres morts debout et déracinés donné par estimation oculaire. Cette méthode permet d'estimer le volume d'un arbre avec une erreur ne inférieure à 20 %.
Une formule approximative très simple permet « d'étalonner » les estimations oculaires (DENZIN 1929) :        

                           V=d2:/1000
   
                    Où : v= volume bois fort tige en m3
                           d =diamètre à m en cm           

La biodiversité                      
La biodiversité porte essentiellement sur les espèces biologiques associées au bois-mort. L'inventaire était réalisé après chaque mesure.

o La diversité floristique : la collecte consistait à prélever - si à portée de main-  un échantillon de chaque espèce fixée sur du bois mort observé. Les végétaux supérieurs et les bryophytes étaient mis sur presse in situ, exposés au soleil et à l'air ambiant, puis stockés dans une espèce d'herbier en vue d'une identification ultérieure. Les champignons -frais comme secs- étaient mis dans un bocal hermétique contenant une boule de coton imbibée de formol. 
o La diversité faunique : l'inventaire de la faune associée au bois mort était procédé suivant  deux approches. L'observation indirecte consistait à noter les indices de présence ou d'activité des organismes animaux au sein du bois-mort. L'observation directe consistait à prélever les échantillons des espèces observées. Les échantillons étaient introduits dans un bocal hermétique contenant du coton imbibé de formol. Pour accéder à certaines pièces on avait dû procéder  - à l'aide d'une hachette ou machette -  par la méthode destructive.   
 
Résultats et commentaires : le volume de la ligno nécro-masse de l'arboretum RAPONDA Walker est estimé à 16,12 m3/ha. Cette valeur supérieure à celle trouvée dans certaines forêts gérées - de climats tempérés - 3 à 10m3/ha (Vallauri, 2005)-  pourrait s'expliquer par le fait que le peuplement forestier de cet arboretum est dans un état climacique où des arbres surannés côtoient des arbres plus vigoureux. Par ailleurs, cette différence de valeurs pourrait aussi être dû au fait qu'en forêt dense tropicale les arbres ont de plus gros diamètres par rapport à leurs homologues des régions à climat tempéré.

La biodiversité s'exprime sur tous les éléments d'où, sur tous les types de débris de bois-mort. Ainsi, des algues ont été observées sur les surfaces exposées du bois.Lorsqu'un arbre dépérissant ou non s'effondre, il dispose déjà d'un cortège de bryophytes (Gautrot, 2011).Le site de cette étude regorge des essences comme  Dacryodes sp. dont le bois tendre, lorsqu'il est en phase de décomposition plus ou moins avancée sert de lit de germination aux graines qui y ont attérri. Ceci démontre que le rajeunissement naturel se fait bien sur le bois mort en décomposition plus riche en substances nutritives nécessaires pour la croissance des jeunes plants et des espèces fongiques. Le bois mort sert aussi de support à plusieurs espèces de ptéridophytes. Cependant caractère aléatoire de la distribution de ce bois mort rend hypothétique la    dissémination de toutes les espèces inféodées au bois mort.
 
Trou de pic sur un arbre
La nécro-masse ligneuse revêt aussi une grande importance pour la diversité faunique. Des essences comme Terminalia superba, après avoir contracté certaines pathologies, deviennent creuses. Comme telles, elles servent d'abris à plusieurs espèces fauniques comme le porc épic,la chauve-souris... etc.

Le sommet concave de certaines souches peut parfois contenir des eaux de pluie. Ces flaques constituent des lieux de ponde pour certains insectes et batraciens.
Champignons poussant sur un bois mort 
Des galeries sans sciures  observées sur du bois mort attestent  de la présence des insectes xylophages et lignivores.Tel est le cas des termites et d'autres insectes saproxyliques.La destruction des trous forés sur bois mort a permis de dénicher des larves et des imagos de plusieurs espèces de coléoptères. Certaines de ces espèces participent au nettoyage de l'écosystème forestier.  Certaines espèces aviaires comme les pics (dendropocos sp) forent le bois mort pour y installer leurs nids. Dans certaines régions de climat tempéré, on estime ainsi que 40% des oiseaux forestiers dépendent étroitement des cavités pour se reproduire (chouettes, gobe-mouches, grimpereaux, mésanges) (GB, 2010). Ces trous peuvent aussi servir à d'autres espèces animales,en l'occurrence l'écureuil (Myosciurus  sp). Compte tenu du fait que le bois mort sert d'habitat à quelques espèces animales, on peut considérer qu'il revêt une importance pour les espèces prédatrices de ses pensionnaires. C'est ce qui explique des griffures laissées sur du bois mort par des espèces insectivores. 
On estime que 25% des espèces animales et végétales strictement forestières dépendent du bois mort (Vidal, 2012).

Conclusion 
L'arboretum RAPONDA Walker peut être assimilé à une forêt de vieille croissance dans un état climacique. Sa nécromasse se situe dans l'ordre de grandeur supérieure aux forêts gérées. Ce qui augure qu'il peut jouer un rôle important dans le cadre des recherches menées aussi bien sur la forêt dense humide gabonaise, que sur le traitement et la conservation des essences gabonaises. La biodiversité observée sur le bois mort de l'arboretum RAPONDA Walker est riche et diversifiée. Elle intervient à tous les stades de la décomposition, et sur tous les types de pièces de bois. Au sein de la dynamique de la décomposition du bois, la biodiversité est représentée par une myriade d'espèces dont la présence, lorsque toutes les conditions sont réunies - taux d'humidité  et température  --, témoigne du bon fonctionnement d'un écosystème forestier.       

Josélite-MalotONDO